Selon la brise de mer de Stanwell Park réunit des
approches distinctes de la notion de paysage à travers l’exposition de trois
oeuvres qui composent, dans un dialogue croisé une nouvelle réalité paysagère
encadrée par l’espace de l'exposition. Prises de vues différenciées d’une même
notion, les problématiques soulevées par chacune de ces pièces n’aboutissent à
aucun traité du paysage. Nous sommes invités, au contraire, à abandonner nos
habitudes visuelles et à fabriquer, à travers ces oeuvres, de nouveaux
territoires.
Les paysages qui se
succèdent, s’attirent et se superposent sont conçus comme une écriture, une
réalité mouvante telle qu'une image informée par la brise de mer. Le point de
départ est la côte de Stanwell Park. Espace accidenté, où la mer, la montagne
et la végétation s’entrechoquent, ce site expose le paysage comme le résultat
d’une dynamique insaisissable de la nature — où trois grands naufrages ont eu
lieu — et une image devenue domestiquée par
l’industrie du tourisme
L’approche de ce lieu
proposé par Ronan Le Creurer sera toute à fait différente. L’artiste conçoit ce
paysage comme quelqu'un qui fabrique ce qui est déjà là. Non pas une nature
sauvage antérieure à l’homme, mais plutôt le lieu où ont été mises en place les
expérimentations aériennes de Lawrence Hargrave. Avec sa Sculpture Modulaire,
Le Creurer revisite les cerfs-volants
cellulaires parallélépipède de l’ingénieur australien. L’artiste joue le
rôle d’un archéologue et d'un inventeur, re-créant la scène à la fois anachronique et futuriste qui a donné
naissance à l’engin de Hargrave. Outre le déplacement temporel, Le Creurer
produit encore une modification de l’échelle du projet original. La machine
volante, capable d’élever l’homme à quelques kilomètres du sol, devient
elle-même une sculpture suspendue. Ce dernier déplacement révèle aussi son
choix d’une autre type de problématique indirectement contemplée para l’oeuvre
de départ. En plus de faire une enquête sur la mobilité de l’homme dans l’air,
la sculpture de l’artiste revient sur la question du paysage conçu ici par des
données esthétiques, matérielles, techniques et temporelles. Sa Sculpture
Modulaire est à la fois la re-présentation d’un projet d’aspect utopique et
conçu par des techniques rudimentaires, une forme activée et rythmée par le
mouvement du vent, un objet informé par une sorte d’arrêt temporel et énergétique.
Le paysage se constitue comme un rideau de fond de sa sculpture, une
architecture pré-figurée par son propre corps, exposée ici dans un espace
contraire à son mouvement potentiel.
Le projet de Hargrave
— duquel Le Creurer extrait une sorte de poétique du mécanisme — nous amène à
une autre question liée au paysage contemporain: les photographies aériennes et
son bouleversement de l’image de la terre. Si la sculpture de Le Creurer dessine
un paysage du haut par une vue d’en bas, l’oeuvre Camouflage de Marie
Johanna Cornut conçoit le paysage comme une sorte de mise à plat d’un terrain
accidenté.
Le paysage conçu par
son oeuvre nous rappelle les images abstraites de la surface terrestre produites
par l’éloignement aérien, et l’agencement non géométrique des couleurs semblent
être produits par la déformation des perspectives visuelles provoquées par le
mouvement de l’avion. Pourtant, l’artiste est parvenu à ces résultats par des
voies bien différentes. Conçue à l’occasion d’une exposition à Dusseldorf, la
première version de son oeuvre jouait avec l’espace en verre et la végétation
qui encadrait son mur peint. Pour l’exposition présente, Cornut a choisi de
retravailler son projet original en modifiant son support et son échelle. Son
paysage est ainsi une réécriture d’un paysage antérieur. Déplacée de son
contexte original, son installation active une autre dimension de la stratégie
du camouflage. Si avant, l'oeuvre était conçue comme une méthode de dissimulation,
ici elle n’essaie pas de se cacher, au contraire, elle capture par ses zones
informées de couleurs le regard du spectateur. La stratégie mise en jeu n’est
pas de l’occultation par une dispersion de l’oeuvre dans l’espace d’exposition,
mais faire immerger le regard dans une surface colorée dont il ne peut pas
estimer les dimensions. Le regard est ainsi trompé, pas à travers les effets
mimétiques-illusionnistes, mais par le rythme imprimé par les zones colorées, puisque
ici les couleurs se repoussent ou s’attirent créant des volumes sur une surface
qui, on le sait, est en réalité plate. L’oeuvre de Cornut fait sortir le
spectateur de la linéarité des observations de terrain et l’invite à traverser,
par une déambulation sans points de repères, un paysage qui se forme et se
déforme par l’agencement des zones colorées.
De la vue verticale et
oblique de Camouflage nous passons, par le Dos au Paysage de
Quentin Lefranc à une prise de vue horizontale de la plage de Stanwell. Un banc
renversé prolonge l’image photographique. Il fait la médiation entre l’image
accrochée sur le mur et l’espace concret de la salle d’exposition, ainsi que entre
le temps figé par le registre photographique et le temps présent de la prise de
vue de l’oeuvre par son observateur. Il démarque également la frontière entre
deux conceptions différentes du paysage. D’un côté, celui mis en jeu par la
photo, où le paysage se conforme aux codes de la perspective renaissantiste. Et
d’un autre côté, ce qui se déroule de manière imprévue dans l’espace concret de
la salle d’exposition. Du paysage comme représentation mentale et
instrumentale, nous passons au paysage éphémère fabriqué par des pratiques et
des usages de l’espace, un territoire construit in loco par des formes
concrètes d’habitation. Si, par le titre l’artiste semble justement nous
inviter à porter attention sur ce deuxième paysage, le banc démarque la
position du spectateur en tant que prolongement de la scène figée de la plage.
Il nous resitue exactement dans ce lieu de médiation entre la représentation
informée par la culture et le territoire produit par des pratiques sociales et des
expérimentations sensibles. Le banc fonctionne ainsi comme une figure vide au
centre du paysage photo qui expose une absence ou une présence toujours différée.
Le spectateur, divisé, est à la fois mis à distance et convoqué au centre de la
représentation. C’est à lui de créer un paysage devant un autre paysage qui lui
attribue son rôle.
Selon la brise de
mer de Stanwell Park propose une immersions dans des paysages imprévus.
Paysage en tant que territoire d’inscription et re-création de la mémoire.
Paysage qui met le sujet hors d`un dehors sans objet. Paysage créé par la
superposition entre une réalité concrète informée par des codes picturaux et un
territoire fabriqué par des habitions imprévues de l’espace de l'exposition. Enfin,
paysage comme une mise en abîme des
paysages réels et imaginés, produit lui-même à travers des approches expérimentales
et mouvantes des réalités paysagères.